Faut bien que certains préparent le homard pour que d’autres puissent le déguster. Toi, Abdeslam, tu l’as bien compris. Mais jusque-là, tu pensais que tu avais des chances de le voir poser dans ton assiette, ce homard. Au lieu de ça, tu pédales avec ton sac à dos plein de nouilles au milieu de la jungle urbaine.
Ouragan, c’est la nuit d’insomnie d’Abdeslam, livreur de nouilles à vélo. Son prénom n’a jamais été facile à porter. C’est curieux car Abdeslam en arabe signifie « porteur de paix ». Seul dans son appartement, ce travailleur jetable se confronte à une forme de violence sournoise, celle de la jungle urbaine. Noyé dans la fumée des pétards et de ses idées noires, il cherche l’apaisement. Au début du spectacle, son réfrigérateur se met à fumer. Il se lève pour régler le problème, et c’est là qu’un deuxième Abdeslam apparaît. Puis un troisième, un quatrième et un cinquième. Début de schizophrénie, abus de marijuana ou fatigue exacerbée, peu importe. Abdeslam quintuplé et confronté à lui-même devra tenter de concilier ses différentes personnalités afin de trouver l’apaisement, la paix, dont son nom est annonciateur. Avec une douce absurdité et une surprenante distribution, Ilyas Mettioui capte l’insoutenable légèreté de l’être ubérisé dans la jungle urbaine. Entre chorégraphies rythmées comme une course à la survie, et dialogues acerbes et plein d’humour, les cinq performeurs issus de différents univers artistiques abordent, avec intelligence et simplicité, les thématiques de racisme, de genre et de consommation sur fond d’injustice sociale.
Car servi par une esthétique visuelle et sonore d’une magnifique inventivité, le propos va au-delà du seul désespoir du livreur. Depuis son hallucination Abdeslam nous prévient « On a tous le cœur infecté », et lui il nous touche en plein cœur.