Karl Marx n’est pas mort le 14 mars 1883. Il a quitté Londres pour
partager la vie des Iroquois sénécas. Il avait découvert leur démocratie
exemplaire par la lecture de travaux ethnologiques, qui lui avaient
donné l’envie de faire enfin l’expérience d’une autre vie. Ce désir
longtemps mûri et cette fuite restée secrète grâce à la complicité de
ses proches vont le transformer physiquement, affectivement,
intellectuellement. Se faisant passer pour un ethnologue, il est adopté
par un groupe sénéca, il se remarie avec une indienne, change de vie.
Devenu chef guerrier, il n’hésite sur aucun moyen pour servir la
résistance du peuple Sénéca. Ce nouveau Marx reste lié à son ami Engels
et à sa fille Eleanor. Les retrouvailles tournent à la confrontation des
mondes, au bord des chutes du Niagara, lieu plus tard d’une mort
philosophique.C’est un homme de notre temps qui s’adresse à nous. Un
Marx inattendu, et qu’on attendait.
Face au désastre climatique, aux ravages de la globalisation
néolibérale, à la montée des nationalismes, des néofascismes et à
l'embrasement du monde, il est vain de compter sur la " communauté
internationale " pour surmonter les antagonismes des souverainetés
étatiques. Relever les défis auxquels est confrontée l'humanité requiert
une nouvelle cosmopolitique, qui ne soit pas un idéal philosophique ou
une utopie sentimentale, mais une action collective au-delà des
frontières. La voie en est aujourd'hui tracée, par le bas, au travers
des expérimentations alternatives et des pratiques de
transnationalisation et de transversalisation qui se développent au sein
des luttes écologistes, féministes, antiracistes, autochtones,
syndicales et paysannes.
Ces mouvements esquissent partout la texture
des communs, ces institutions fondées sur l'autogouvernement des
milieux de vie. Mais, si leurs promesses démocratiques et égalitaires
dessinent déjà un autre horizon politique, il ne suffit pas d'attendre
patiemment que ces petits îlots se multiplient et s'agrège
nt pour en révéler la puissance révolutionnaire planétaire. Il s'agit
maintenant de se demander comment penser les échelles d'action et leur
articulation sans céder à l'illusion d'un emboîtement vertical.
C'est cette question stratégique fondamentale qu'affrontent ici Pierre Dardot et Christian Laval.
L'enjeu suppose de tirer le bilan des internationalismes du passé, de
comprendre les limites que l'altermondialisme s'est lui-même imposées et
d'établir l'inadéquation des variétés anciennes de cosmopolitisme aux
exigences nouvelles. En œuvrant à composer un monde commun qui
procéderait des multiples manières de faire monde, la cosmopolitique des
communs permet désormais d'envisager lucidement la possibilité d'une
nouvelle phase de mobilisation mondiale.
Christian Laval est sociologue et historien des idées politiques. Il a notamment écrit, avec Pierre Dardot, un livre de référence Marx, prénom : Karl (Gallimard, 2012). Marx en Amérique est son premier roman.
Il s'entretiendra avec Sami El Hage.