« Tu la sens, la violence ? »
Par une nuit d’insomnie, un jeune homme fume, assis sur son canapé. Il s’appelle Abdeslam. Un prénom pas toujours facile à assumer ces derniers temps. Pourtant, en arabe, ça veut dire : celui qui va apporter la paix. En attendant, faute de paix, Abdeslam apporte plutôt des nouilles ou des pizzas. « Indépendant à titre complémentaire ». Autrement dit : livreur à vélo. L’un de ces êtres interchangeables, qu’on exploite sans trop y prêter attention. Mais ce soir-là, il ne travaille pas. Seul chez lui, entre les volutes de fumée qui s’élèvent et l’entourent peu à peu, il fait valser ses idées noires. Soudain, un autre homme apparaît. Puis deux, trois, quatre. Au final, ils sont cinq, debout autour du canapé. Ils ne se ressemblent pas, mais portent le même prénom. Cinq versions d’Abdeslam. Cinq corps qui se font face…
Dressant le portrait saisissant d’un travailleur jetable en quête de lui-même, Ouragan nous invite à rencontrer un peuple d’invisibles, tapis au cœur d’un seul et unique personnage. En se démultipliant, ce jeune homme révèle ceux qui se cachent en lui : cinq corps, fragments d’une même solitude. Des carapaces viriles, bâties comme des armures face à cette jungle urbaine qu’elles sillonnent chaque jour à vélo. Peu à peu, ces corps se frôlent, se cognent, s’enlacent, s’apprivoisent. Ils dansent avec leurs paradoxes. Leur pudeur se craquelle, laissant deviner l’impasse d’une masculinité qui les empêchent d’explorer de nouveaux territoires du désir. Les mots tournoient, s’agglomèrent, et deviennent une tempête qui, sans prévenir, éclate sous leurs crânes, comme une nécessité vitale d’en découdre avec un monde qui leur renvoie sans cesse sa violence au visage.
Mêlant théâtre et danse, Ilyas Mettioui, avec la complicité dramaturgique de Zoé Janssens, rassemble un quintette de performeurs époustouflants de justesse et d’énergie, qui mettent leur engagement total au service d’une fresque chorégraphique survoltée. Portés par une écriture résolument contemporaine et jamais moralisatrice, ils dissèquent au scalpel les aveuglements de notre société individualiste, pour redonner voix et dignité à celleux dont on oublie l’existence. Entre humour corrosif, tendresse et mélancolie, Ouragan nous emporte dans son souffle d’émotions puissantes, pour tracer un refuge de fiction au cœur de notre présent.